Iquisme met en son et lumière l’évolution organique d’un univers inter-médiatique.
 
Sous forme d’opéra vidéo, Iquisme a pour projet la représentation d’une pluralité de rapports sociaux, culturels et politiques sur lesquels l’homme fonde les références de ses identités. L’oeuvre illustre la logique des ses relations dans  le cadre d’une expérience sensorielle portée par la mixité d’une écriture interactive et générative entre le son, l’image et la parole.
 
L’opéra tire son titre de l’articulation des suffixes –ique et –isme. Du latin “-icus” (“relative à” ou “propre à” une  chose), -ique signifie ici les idées de relation et d’identité. Le suffixe –isme, pour sa part, définit un concept, une doctrine.
Iquisme développe la dialectique de sa dramaturgie autour de cette combinaison.
 
L’oeuvre met en scène l’agitation organique de ses éléments formels. Entités sonores, verbales et visuelles, s’agrègent en de multiples structures animées par la volonté oscillante d’une recherche d’équilibre et de liberté.
Contrariés par l’impossibilité d’obtenir une cohésion globale, les mouvements de chaque structure, instable par nature, illustrent le paradoxe qu’Iquisme cherche à mettre en évidence : la coexistence contradictoire d’une recherche d’organisation et d’une force de désagrégation. Dans un processus de constante variation, les structures fusionnent, se contorsionnent et se fragmentent successivement au fil de la narration. Leurs altérations évoquent la formation et la dissolution des sociétés, doctrines ou concepts qui les fondent ; elles représentent les transmutations sociales continues d’un flux tragique qui ne trouve nul repos et dont les éléments formels ne peuvent échapper.
 
La « narration » est constituée de trois types d’écriture. La première, la musique, pour un ensemble instrumental et électroacoustique ; la deuxième, l’image, pour une vidéo générative ; et la troisième, le texte, pour le livret. L’expression des écritures se lie à un dispositif électronique, lequel articule des orchestrations interactives des trois médias dans l’espace scénique sonore et visuel de la salle. Face aux flots d’informations multiples et complexes, en évolution constante, l’auditeur est confronté à la saturation perceptive d’une immersion esthétique.
 
La musique pour mezzo-soprano, 9 instruments amplifiés et dispositif électroacoustique développe un discours en constante mutation. De fines poussières en suspension à d’imposants agrégats de matière, les objets sonores sont au préalable minutieusement exposés au fil de la partition. Ils seront projetés dans le tissage  polyphonique et rythmique d’un espace acoustique soumis aux paramètres de l’interactivité en temps réel des dispositifs électroacoustique et vidéo.
 
La vidéo générative interagit également en temps réel avec la musique. Elle dépeint l’évolution de groupes de particules qui s’organisent et se désorganisent continuellement. Formes visuelles élémentaires des allégories politiques mises en scène dans Iquisme, les particules représentent des entités individuelles animées d’un code, d’un concept culturel qui leur est propre.
 
Le livret écrit par Fanny Torres développe une expression dramatique et allégorique de la nature des relations engagées dans le flux de la musique et des images. La chanteuse se voit confier trois rôles : deux personnages et un narrateur. Elle engage un dialogue qui, joué par une seule interprète, revêt un caractère quasi schizophrénique.
 
Le premier personnage, le « numérique », symbolise l’individuel. Il ne perçoit l’environnement que pour s’y situer lui-même. Puisqu’il n’a conscience que de ce qui l’affirme, son timbre est monocorde et son discours tend à l’univocité. Arbitraire, il représente l’identité immédiate, le soi-même qui s’affirme sans la médiation de l’autre.
 
À l’opposé, le deuxième personnage, l’« analogique », symbolise le collectif. Il se définit par ce qui l’entoure, ne se constitue que par le moyen de l’autre,   il représente la relation. Il a une conscience de l’altérité, de la globalité et du contexte, ce qui confère à son langage une nature métaphorique, parfois ambiguë.
 
Dans un discours plus ou moins conscient, les deux personnages expriment leurs différentes perceptions de la relation ; au fil des scènes, ils développent leurs positions respectives sur l’identité et l’altérité. Au fur et à mesure que s’affirme leur personnalité, l’auditeur est témoin de leurs divergences. Deux caractères antagonistes s’affrontent: l’un avec son point de vue strictement individuel, l’autre de par son mode de pensée collectif.
 
Enfin, un « narrateur » omniscient est le seul capable de penser et d’écrire la totalité d’une situation. Il articule une dialectique du particulier et de l’universel. Cette articulation est « narrée » aussi bien que réalisée au fil de l’œuvre par le narrateur, dont les interventions débordent du simple cadre de la description de scène pour mordre sur celui des commentaires .
 
La diffusion sonore du texte chanté par l’interprète réagit à la vidéo générative. Le dispositif électronique, par le moyen duquel se réalise l’interaction en temps réel des trois écritures de l’opéra, magnifie et multiplie la voix de la mezzo-soprano d’après les processus d’agrégation ou dispersion de particules projetées par la vidéo. Spatialisées autour de la salle, en échos au discours réel, des voix virtuelles étendront la sémantique du livret par effets de masse, d’éparpillement, d’accélération frénétique ou de ralentissement outrancier se jouant du corpus lexical, projetant l’ensemble dans un large chœur imaginaire.
 
Après plusieurs expériences personnelles, plastiques ou musicales, dans le spectre des nouvelles technologies, Iquisme est porté par l’ambition d’aboutir à une écriture interactive permettant d’aborder en parallèle le plan sonore et visuel sans privilégier l’une ou l’autre des formes. Ce type d’écriture repose sur l’usage de technologies de création, de contrôle et d’analyse de flux interactifs. Tour à tour, l’une sur l’autre ou en parallèle, la musique, la vidéo et la voix exercent et influent sur les différents traitements et développements des sections et mouvements. Il en résulte une sorte d’« orchestration médiatique » où l’usage des sciences de l’information, de la communication et des technologies interactives ont été un préalable conceptuel et technique de premier ordre pour en formaliser les principes.
Iquisme est également le fruit de réflexions sur le langage, les formes de perceptions et la sociologie. Abordées dans des créations antérieures au sein de pièces musicales ou d’installations, ces préoccupations sont ici rassemblées pour en éclairer les phénomènes d’articulations et d’émergences entre les bornes de la sensibilité subjective et de la logique.